« Ce que nous visons, c’est une forme de souveraineté alimentaire »
Au cœur des Caraïbes, le territoire de Saint-Martin est en pleine transformation. Longtemps éclipsée par le développement effréné de l’industrie touristique, l’agriculture locale reprend ses droits, poussée par une série de crises qui ont révélé sa nécessité vitale. Les conséquences du passage dévastateur de l’ouragan Irma et les défis posés par la pandémie du Covid-19 ont agi comme catalyseurs d’une prise de conscience collective. Directeur de la L’Economie bleue et de la Croissance verte pour la Collectivité de Saint-Martin, Elie Touze et Cyril Robert, Chef de projet – Développement agricole et rural, nous en dise plus sur la révolution agricole à l’œuvre sur l’Ile, le travail mené pour attirer de jeunes talents et promouvoir une agriculture respectueuse des ressources locales, et les raisons qui ont poussé le territoire à rejoindre le programme ‘Territoires Agricoles Engagés”.
Pourquoi l’agriculture s’est imposée comme un sujet majeur pour le territoire ?
Elie Touze : La fin des années 70 et les lois Pons, Perben et Girardin ont entrainé un développement à outrance de l’industrie touristique sur le territoire. Si l’impact en matière de croissance économique et de développement des infrastructures – routes, aéroport, ports, services publics… – a été indéniable, cette évolution a également eu des conséquences négatives avec une pression accrue sur le foncier et l’abandon d’une grande partie de notre patrimoine agricole. Déjà limité sur l’île, les réserves en eau ont également été fortement sollicités avec un impact non négligeable sur les exploitations qui ont dû apprendre à produire avec un minimum de ressources. Deux évènements marquants ont cependant renversé la problématique et amené à une prise de conscience collective sur la nécessité d’un renouveau agricole au sein de Saint-Martin. La dépendance alimentaire de l’Ile suite au passage de l’Ouragan Irma – qui a ravagé l’Ile à plus de 90% – puis les confinements successifs – en lien avec la crise du Covid – a agi comme un véritable détonateur et nous a amené à vouloir changer la donne sur le sujet pour redonner toute sa priorité à l’agriculture.
« Quand pendant 6 mois, on ne mange que des conserves, on mesure mieux toute l’importance d’une production locale et on devient vite un adapte du locavorisme. »
Eli TOUZE, directeur de l’Economie bleue et de la Croissance verte
Justement, pouvez-vous nous en dire plus sur les forces en présence et les spécificités de Saint-Martin dans le domaine agricole ?
Cyril Robert : L’agro-écologie fait clairement partie des fondamentaux pour Saint-Martin. La préservation des espaces naturels et la sauvegarde des ressources en eau comme l’absence de pollution donnent un temps d’avance au territoire. Essentiellement tournée vers l’élevage bovin et caprin mais aussi ovin et porcin, la production agricole locale est néanmoins confrontée aux mêmes problématiques que de nombreuses autres collectivités, à savoir un vieillissement préoccupant des exploitants agricoles. A saint-Martin, ils devraient ainsi être 72% à prendre leur retraite dans les 10 ans.
E.T : Il est donc indispensable de travailler dès à présent sur les moyens d’attirer de jeunes porteurs de projets qui pourront prendre la succession des exploitants actuels.
Une production agricole principalement tournée vers l’élevage bovin et caprin
Le territoire est pleinement mobilisé sur le sujet de la reprise des exploitations agricoles de Saint-Martin…
E.T : Le renouveau agricole de Saint-Martin est une priorité partagée par l’ensemble de la population. Cette volonté collective nous permet d’avancer à pas de géant. Avec l’aide du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), nous travaillons à renforcer la compétitivité et l’innovation des entreprises agroalimentaires par la création, l’extension et la modernisation des unités de production mais aussi à favoriser la transition agroécologique des exploitations tout en assurant leur viabilité économique. Dans ce but, nous avons mené avec le soutien de la FN SAFER une grande étude pour analyser l’ensemble des terrains agricoles sur le territoire. Un préalable indispensable à une réforme foncière ambitieuse permettant notamment le recensement et la régularisation administrative du foncier agricole. En parallèle, cette étude nous a également permis de mieux appréhender la typologie des cultures pouvant être pratiquées à Saint-Martin. En rejoignant, le programme ‘Territoires Agricoles Engagés’, nous avons l’ambition de franchir une nouvelle étape.
La transmission des savoir-faire est également une priorité pour Saint-Martin ?
E.T: Les exploitants agricoles ont appris à optimiser leur production avec peu de moyens, dans un environnement où les ressources sont comptées. Il est donc primordial à nos yeux de favoriser le partage d’expérience et ainsi poursuivre le travail entrepris en matière de préservation de ressources et de protection de l’environnement. A Saint-Martin, nous voulons bâtir notre souveraineté alimentaire sur la base de pratiques agro-écologiques qui renforce notre autonomie alimentaire dans le respect de l’existant et en favorisant la biodiversité. Des enjeux parfaitement en phase avec les ambitions du programme ‘Territoires Agricoles Engagés” développés par Geolink Expansion, Eloi et Fermes d’Avenir.
« Il n’y a pas d’agriculteurs sans terres. »
Eli TOUZE, directeur de l’Economie bleue et de la Croissance verte
D’où les investissements réalisés dans des structures qui permettent de favoriser ce renouveau agricole ?
C.R : Grâce aux études menées au préalable, nous savons où nous voulons et où nous pouvons aller. Nous sommes en mesure de définir quelles parcelles serviront à tel ou tel type de production. D’importants investissement sont d’ailleurs en cours pour nous doter des installations indispensables au succès des néo-agriculteurs. On peut notamment évoquer les travaux menés au sein de l’abattoir qui conduiront à son extension et à la construction d’un atelier de découpe et de maturation avant conditionnement de la viande mais également avec la mise en place d’un centre collectif d’emballage et de conditionnement des œufs locaux. Dans le prolongement de notre souhait de privilégier des pratiques agro-environnementales ou économes en ressources une réflexion est également menée, dans le cadre de Plan territorial de l’Agriculture durable, autour de l’aquaculture et de la possibilité de créer des fermes d’aquaponie.
E.T : Nous ne serions pas complets si nous n’évoquions pas les liens étroits qui nous unissent avec l’Hexagone, la Martinique, la Guyane et de manières générales tous les territoires d’outre-mer.. A Saint-Martin, nous n’avons pas de CIRAD ou d’INRAE, il est donc impératif de nouer et entretenir des collaborations qui nous permettent d’avoir toutes les cartes en main pour mener à bien le projet territorial.
Elie Touze, Directeur de la L’Economie bleue et de la Croissance verte pour la Collectivité de Saint-Martin et Cyril Robert, Chef de projet - Développement agricole et rural